MARZIN Gustave
Né le .. septembre 1912 à Rennes (Ille-et-Vilaine), artisan électricien, demeurant à Lannion.
Militant aux jeunesses communistes dont il est secrétaire départemental en 1937, adhère au PCF en 1937.
Marié .. enfants.
Mobilisé en 1939, il est blessé dans les Ardennes en mai 1940.
Il renoue les fils de l'organisation clandestine dès 1941 avec Louis PICHOURON. Responsable du triangle du PCF clandestin à Lannion.
Décédé en 1989 à Lannion.
Arrêté le 11 août 1943 à son domicile par des inspecteurs de police français.
Interné à Rennes, puis à Compiègne.
Déporté au camp de concentration de Neuengamme en Allemagne.
Rescapé de l'enfer de Lübeck.
INTRODUCTION
Depuis quelques années, les anciens Résistants sont invités à faire connaître leur témoignage aux élèves des établissements d'enseignement secondaire.
Ancien déporté au camp de Neuengamme, Gustave MARZIN a écrit le sien, pour ne rien oublier, il a fait suivre son récit du nom de quelques-uns de ses camarades de déportation, non pas pour ses jeunes auditeurs, mais parce que ces noms, plus de quarante ans après la libération, l'aidaient à retrouver ses terribles souvenirs.
La jeunesse de ses auditeurs, si sollicités par la vie actuelle et par leurs études, l'a conduit à préciser, à leur intention, les conditions de vie (et de mort) des déportés, telles qu'il les a subies.
Décédé en décembre 1989, Gustave MARZIN était un artisan électricien de Lannion (Côtes d'Armor). Membre du Parti Communiste Français depuis 1933, blessé à la guerre de 1939-45, dès son rétablissement, il a participé à la Résistance, dénoncé par le traître , arrêté en 1943, emprisonné à Rennes, interné au camp de Beaulieu à Compiègne, il fut déporté à Neuengamme le 3 Juin 1944, puis embarqué en avril 1945, à Lübeck à bord de navires dont les nazis escomptaient que les bombardements de l'aviation alliée les engloutiraient avec leur charge de centaines de déportés.
COMPIEGNE
Au camp de Compiègne, le 3 Juin 1944, un ordre retentit : " Sur place tous les prisonniers ! "
Le commandement allemand a adressé au responsable du camp une longue liste de prisonniers qui seront embarqués de bonne heure le lendemain. Par ordre alphabétique, il appelle ces noms. Des noms, des noms, ça n'en finit pas. J'écoute avec anxiété. Déjà plus de mille noms ont été appelés lorsqu'il en est à la lettre L, le camp entier va t'il y passer ? Lettre M, mon nom tombe, je n'y échapperais pas !
Tous les appelés doivent faire leur bagage, quelques provisions leur seront attribuées.
La nuit suivante, rassemblement sur la place d'appel. Placés en colonnes, nous sommes dirigés vers la gare, encadrés par des soldats allemands, mitraillette au poing. Sur les quais de la gare nous attendent les SS Je me trouve alors séparé, hélas du petit groupe de camarades connus au camp, avec lesquels nous nous étions promis de nous évader à la première occasion. Les SS nous bousculent pour nous faire monter dans des wagons à bestiaux. Hurlements, coups de crosse, ils nous crient : " pour chaque prisonnier qui manque, dix d'entre eux seront fusillés ! ". Ils poussent au milieu du wagon où je monte une sorte de lessiveuse destinée à nous servir de tinette. Nous sommes si entassés dans ce wagon qu'au cours du voyage la tinette sera inaccessible à la plupart d'entre nous. Impossible de s'asseoir. Je cherche quelque ouverture d'aération. Celles de ce wagon, exiguës, sont grillagées serré par des fils de fer barbelés.
Nos geôliers ferment de l'extérieur la porte du wagon. J'ai le cœur serré quand le convoi s'ébranle. Où allons-nous ? En Allemagne ? Vers ces camps de concentration où les nazis enferment les communistes allemands, les juifs, et tous ceux qu'ils considèrent comme opposants au régime hitlérien ?
Parmi nous d'aucuns ont encore quelques illusions sur ce régime, puisque je les entends dire :
" Les allemands ne sont pas des sauvages. Ils ont besoin de main d'œuvre ; ils nous feront travailler. Mais nous seront protégés par les accords internationaux sur les prisonniers de guerre. "
Un petit groupe de prisonnier prie à voix basse ; l'un d'eux égrène un chapelet. Je me demande avec angoisse s'il y a dans ce wagon des hommes sur lesquels on pourrait compter pour tenter une évasion, encore que la perspective d'évasion me semble de plus en plus problématique à mesure que nous roulons vers l'est.
Vers midi, affamé, je cherche à entamer ma boule de pain dur reçue au départ du camp de Compiègne. Malgré l'interdiction d 'emporter ni outil, ni couteau, ni boisson, malgré la fouille sur le quai de la gare d'embarquement, j'ai pu dissimuler un petit canif. Dès que, pour entamer ma boule de pain, je sors de ma poche ce canif, mes malheureux compagnons apeurés m'accablent de protestations, d'insultes, et même de menaces de dénonciation aux allemands. Le canif m'est arraché et projeté au dehors par un interstice du grillage barbelé d'une lucarne.
Le soleil donne à plein sur le wagon. La tinette rend l'atmosphère irrespirable. Des disputes s'élèvent, chaque prisonnier voulant stationner un moment près des ouvertures grillagées. Ceux qui réussissent à s'y agripper annoncent parfois le nom des gares traversées. Pas de doute, nous allons vers l'Allemagne, lentement.
Parfois le convoi stationne des heures durant ; parfois il fait de longues marches arrière, de long détours de trajet. Après la libération de ceux d 'entre nous qui survivront à la déportation, nous apprendrons que ces retards et manœuvres sont l'œuvre des résistants opérant sur les voies ferrées pour hâter l'heure de la défaite nazie.
Dans le wagon, la soif nous torture. Aucun ravitaillement n'est prévu. Plusieurs d'entre nous ne peuvent plus se tenir debout. Les crises nerveuses se multiplient. Quand un prisonnier s'évanouit, nous nous serrons les uns contre les autres à en perdre le souffle pour pouvoir l'allonger sur le plancher. Les gémissements redoublent. A voix haute, un prisonnier récite des prières. La dernière s'achève ainsi : " Seigneur, faites que nos geôliers nous soient cléments. ". A peine a t'il prononcé ces mots que le convoi s'immobilise ; la porte du wagon est ouverte de l'extérieur. A coups de pieds, de crosses, des S.S. hurleurs nous repoussent dans une partie du wagon pour nous compter : nous sommes à la frontière allemande et changeons de convoyeur. Mon espoir d'évasion s'évanouit car nous allons à coup sûr vers un camp de concentration.
Le convoi roule à nouveau quelques heures. Puis stationne dans une gare. Les prisonniers agrippés au grillage des ouvertures annoncent qu'il y a sur le quai des femmes vêtues de blanc, portant des seaux d'eau. Ils supplient qu'on nous donne à boire. A peine les femmes ont-elles déposé près du wagon leurs seaux que les S.S. les renversent à coups de pieds. Tout une nuit encore le convoi traîne notre soif, nos malades, nos angoisses.
LE CAMP DE NEUENGAMME
Au matin il stoppe, portes ouvertes, dans un espace entouré de barbelés. Nous débarquons pour être rangés par cinq, sous les cris et les coups, plus escortés que jamais ; nos gardiens tiennent en laisse d'énormes chiens. Nous marchons dans la brume. Puis nos geôliers nous placent en file indienne, et nous font déposer sur le terrain notre bagage, un peu plus loin nos vestes, un peu plus loin nos pantalons, un peu plus loin nos chemises, encore un peu plus loin nos caleçons, encore un peu plus loin nos chaussures et enfin nos chaussettes. Puis c'est l'examen rapide de nos bouches ; n'y aurions nous pas caché quelque objet interdit ?
Toujours en file, on nous conduit dans une baraque de bois où chacun reçoit à la volée un semblant de chemise, un pantalon trop long ou trop court, sans bretelle ni ceinture, et une paire de semelles de bois à bouts recouvert d'un peu de toile et de plastique noir. Puis c'est le passage à la douche, sans savon ni serviette. Ensuite on nous tond les cheveux, rase de près tout le corps.
Nous nous reconnaissons à peine, et cherchons à nous détendre en plaisantant : " Ca te va bien, cette tenue, t'as l'air d'un gugusse. ", " Et toi, avec ta boule à zéro, t'es marrant. "
Je pense alors à ce groupe de prisonniers qui, dans notre wagon, faisait bande à part, bien habillés, manières et langage distingués. S'imaginaient-ils qu'au camp il leur serait tenu compte de leur personnalité.
Nous sommes " en quarantaine ". Le jour, le soleil brûle nos crânes tondus de près. Interdiction de se mettre à l'ombre des baraquements. Le temps nous dure, et nous essayons de lier connaissance entre nous, cherchant notamment ceux qui sont de notre région. Dès que nous posons la question : " Pourquoi as-tu été arrêté ? ", la réponse est : " Je ne sais pas !", craint des " mouches ! ".
Tout d'abord, nous ne parvenons pas à manger le pain noir et " la soupe ", où baigne quelques parcelles de choux. Mais bientôt la faim nous y contraint. Cette " soupe " est servie dans de vieilles cuvettes souvent rouillées ou percées. Pour boire, ni verre, ni gobelet. Il faut aller au robinet du lavabo, boire au creux de ses mains, ou à la bouche sous le robinet.
Le dortoir comporte des rangées de lits à trois étages ; nous dormons à deux par lit de 0.80 mètre avec une paillasse et une couverture pour deux, passablement souillées. Sauf pour la soupe du midi et du soir, et la nuit pour dormir, l'accès au " block " nous est interdit. Tout est réglé à coups de matraque par les " chefs " ; en général ce sont des détenus allemands, qui sont " chef du block ", " chef de lavabo ", " chef de WC " : obéissance immédiate sous peine de matraquage. Au matin, de bonne heure, c'est un " sous-chef " polonais qui nous réveille en aboyant des " schnell ! ", " schnell ! ". Aussitôt, toilette rapide, bousculade aux latrines, passage à table pour avaler un liquide noirâtre, et une fine tartine de pain noir avec un doigt de margarine. Les traînards sont fort malmenés.
Puis on distribue des fonds de chapeau peints d'une croix jaune, quelques temps plus tard, des écussons portant pour chacun de nous un numéro particulier sont cousus sur nos vestes et pantalons, avec un triangle rouge pour les détenus classés " politiques ", et la lettre F pour ceux de nationalité Française. Une grande croix jaune est peinte au dos de la veste et sur la jambe gauche du pantalon. Nous ne sommes plus que des numéros.
Matin et soir on nous rassemble sur la place d'appel, alignés par cinq. Les " kapos " hurlent et frappent, soucieux de montrer aux SS qu'ils savent dresser leur équipe. Cela dure parfois une heure, parfois huit heures et plus, quel que soit le temps. Immobiles, silencieux nous sommes soumis à cet exercice stupide qui consiste à enlever le chapeau, tous ensemble, à l'abaisser en tapant énergiquement sur la cuisse gauche, puis à s'en coiffer, en respectant la cadence. Nous sommes plus de quatre mille à subir ces appels, au cours desquels j'ai vu des prisonniers s'effondrer.
Un jour un recruteur recherche dans notre block des métallurgistes, électriciens, maçons, menuisiers, mécaniciens ..., nous en déduisons que la quarantaine va cesser.
Ces travailleurs sont affectés à des commandos qui partent chaque jour aux chantiers et usines du camp. On leur a distribué d'autres vêtements et chaussures, ainsi que des carrés de tissu pour en faire des chaussettes russes.
Les prisonniers âgés ou invalides sont utilisés pour faire des tresses avec des chiffons taillés en lanières. Leur lieu de travail est une cave dans laquelle une bouche d'égout sert de latrines ; ils ne peuvent aller aux latrines sans autorisation de leur chef d'équipe. Encore ne doivent-ils ne pas s'attarder, sinon il pleut injures et coups. Avant d'être autorisé à quitter l "l'atelier " chacun d'eux doit fournir en fin de journée un certain métrage de tresse. Entre ces prisonniers de nationalités diverses des disputes éclatent souvent.
Je me trouve affecté au commando des électriciens du camp dont le kapo WILLY est allemand " politique " (triangle rouge). Pas d'autres Français dans ce kommando. Je ne parle ni ne comprend l'allemand. Les autres travailleurs du commando sont des Russes, Tchèques, originaires de pays Balkaniques et surtout allemands. C'est par observation et gestes que je parviens tant bien que mal à communiquer avec eux. Ils m'interrogent : " d'où viens-tu ? ", " es-tu ingénieur ? ", " que sais-tu sur le débarquement des alliés ? ", " la guerre finira t-elle bientôt ? ". L'atmosphère me paraît assez bonne dans cette équipe, lorsque j'y suis désigné pour participer avec divers travailleurs du camp à un " transport ". Les désignés sont habillés de bleu et de blanc, mis en rang sur la place d'appel pour le tri, car les transportés auront à fournir bonne dose de travail. Ma petite taille et ma mauvaise mine font qu'on me met brutalement hors " transport ", qu'on m'enlève la tenue bleu et blanc et m'envoie rejoindre mon commando. Je suis alors affecté à la construction d'un bâtiment de briques dans l'alignement des blocks de bois.
L'objectif (non exprimé) des détenus et de quelques kapos travaillant à ce chantier est de le faire durer le plus longtemps possible. Il y a toujours quelques guetteurs pour signaler l'approche d'un S.S. ; alors les prisonniers s'activent, kapos et chefs d'équipe crient ; le S.S. parti, le calme revient. Cette sorte de résistance est encouragée par le recul des troupes allemandes sur les fronts de l'Est et de l'Ouest. Les nouvelles nous en sont chuchotées de bouche à oreille. Des électriciens ont bricolé avec des pièces détachées provenant des ateliers de réparation radio du camp un poste récepteur, c'est notre principale source d'informations.
Cependant dure, longue est l'attente dans le froid, la faim, les poux, le manque de linge, de savon, les coups. Les prisonniers dépérissent. En mai-juin 1944, 6000 Français ont été déportés à Neuengamme. Six mois après, il n'en reste plus que 3000 mille, qui essaient de survivre comme ils le peuvent.
Un " marché " (troc) existe dans le camp, malgré l'interdiction des SS C'est surtout l'action de l'organisation de solidarité créée par des " triangles rouges " sûrs qui permet aux prisonniers de se procurer de temps à autre vêtements, chaussures et parfois un peu de nourriture. Pour ma part, je fournis à cette organisation des sacs de papier ayant contenu du ciment, seul papier qu'on trouve au camp. Les prisonniers s'en servent notamment comme plastron placé sous la chemise afin de se protéger du vent, du froid. Je fournis même des cigarettes par l'intermédiaire de déportés affectés au travail en usine. De temps à autre, ces travailleurs sont " payés " avec des petits rectangles de carton représentant un certain nombre de marks. Avec cette " monnaie " nous nous procurons dans une sorte de cantine fonctionnant en l'une des baraques quelques cigarettes de très mauvaise qualité. Ces cigarettes très recherchées nous permettent, par échange, des disposer d'autres produits, par exemple, une sorte de pâte, baptisée " fromage ", qui n'a guère de goût, ou bien de petits poissons conservés en saumure, qu'il faut trier, laver plusieurs fois sans parvenir néanmoins à éliminer leur trop forte salaison. Nous les mangeons têtes et intestins inclus.
Bien souvent nos " marks " de carton disparaissent, tous nos chefs et nombre de kapos, proxénètes, gangsters, voleurs, internés de longue date connaissent toutes les roueries pour dépouiller les autres détenus du peu dont ils disposent. C'est pourquoi, avant de nous coucher, nous roulons nos vêtements pour en faire l'oreiller sur lequel nous essayons de dormir ; sinon, ils sont volés au cours de la nuit.
Proche du camp de Neuengamme, le port de Hambourg est bombardé presque chaque soir par l'aviation alliée. A chaque alerte, dans le noir, nous devons nous habiller et gagner les bunker. C'est pour les kapos l'occasion de nouveaux matraquages.
Un jour les SS décrètent que ces fainéants d'électriciens passeront leur dimanche à pousser jusqu'à un quai distant de 300 mètres des wagonnets chargés de briques. Le déraillement d'un seul de ces wagonnets suffit pour paralyser toute la file qui suit. Avec des déportés Russes, je participe au déraillement ; nous faisons basculer toute la file. Malgré les hurlements et matraques des kapos nous répétons plusieurs fois ce sabotage. Ainsi pouvons-nous reprendre haleine le temps que les wagonnets soient à nouveau posés sur les rails.
Peu avant l'évacuation du camp, un polonais nommé BULEK du commando des maçons m'informe qu'il vient de terminer dans la cave d'un bâtiment du four crématoire, un travail consistant à desceller des crochets dont les SS se servaient pour pendre les juifs, j'ai quelque peine à le croire.
Pourtant, peu après, on rassemble sur la place d'appel tous les prisonniers, rangés autour d'une potence, musique en tête. On amène deux déportés Belges, accusés de sabotage. Un SS crie que leur châtiment doit nous servir d'exemple. Un de ces déportés à le bras cassé. Un ordre est hurlé : " musique ! ". Avant d'être pendu, le second déporté dit aux SS : " aujourd'hui, vous nous pendez, demain ce sera à votre tour ". Tous deux ont été pendus.
On me charge, un autre jour de dépanner l'éclairage du revier (infirmerie). L'odeur de mort est insoutenable. Je dois marcher sur la pointe des pieds sur un sol couvert d'excréments. Sur les lits à étages, des cadavres ou des malades squelettiques et gémissants ; quelques autres malades vont aux latrines ou en reviennent : le typhus.
Toujours en dépannage d'éclairage, dans une pièce du bâtiment appel é Neubau, je me trouve un peu plus tard devant un tas de cadavres, nus pour la plupart. Pour atteindre l'ampoule électrique à remplacer, il me faut escalader ce tas de cadavres.
Mon chef d'équipe, un jeune originaire de pays Balkanique me demande de l'accompagner dans une cave d'accès formellement interdit. " Nous prétexterons des travaux d'électricité à y faire, si nous sommes surpris. ", dit-il.
Nous descendons. Dans la pénombre je vois des gens assis à terre, peut être une centaine. " Ce sont des juifs. " dit le chef d'équipe, en lançant un coup de pied à celui qui est le plus près de lui. Choqué, je l'interpelle vivement : " Toi, tu te dis chrétien, et tu frappes ces malheureux. ". Terrorisés, ces pauvres déportés se balancent de droite à gauche en récitant des prières. J'entraîne le chef d'équipe, afin qu'il laisse en paix ces gens, en lui rappelant qu'à demeurer en cette cave nous risquons gros tous les deux. Qu'est devenu ce petit convoi de déportés juifs ? Je n'ai pu le savoir par la suite.
A Neuengamme arrivent de nombreux convois de déportés, ils en repart beaucoup aussi. Le soir, sur la place d'appel, au retour des commandos travaillant à l'extérieur du camp, de plus en plus nombreux, à mesure que le temps s 'écoule, sont les déportés de ces commandos qui reviennent mourants.
A l'arrière de la place d'appel, non loin du revier, la cheminée carrée qui domine un bâtiment noir fume souvent, répandant sur le camp une odeur de chair brûlée. C'est un four crématoire. Un second, beaucoup plus grand se construit. Celui-là, je ne l'ai pas vu fumer avant l'évacuation du camp. Passant un jour aux alentours, je découvre un monceau de chaussures diverses, de quoi remplir deux ou trois wagons. Un autre jour je vois arriver sur la place d'appel un chariot plein de cadavres squelettiques à peine recouverts de quelque tissu. Des déportés décharnés sont assis sur ces cadavres. Le chariot s'arrête près du four crématoire. On ne m'a pas permis de stationner là plus longtemps.
Par la suite, on m'envoie en dépannage d'éclairage dans un baraquement à l'écart de la place d'appel, entouré de plusieurs clôtures de barbelés, en me disant que c'est le block des " Proéminents ". Je découvre alors qu'il s'agit de 50 à 100 Français que nos geôliers ont triés sur le volet parce qu'avant leur arrestation, ces déportés occupaient une situation jugée élevée dans l'échelle sociale. Ils ont pu conserver leurs bagages, leurs vêtements ; ne sont pas mieux nourris que nous, mais ne sont pas astreints au travail.
Ils m'assaillent de questions, me demandant du papier, des crayons, des aiguilles, du fil, du linge, des vêtements, des médicaments. Je ne peux que leur faire part de notre situation qui est pire que la leur. Dans leur baraque il y a eu des décès. Dans la mienne, en six mois la mortalité a dépassé 60% des déportés. Je n'ai pu savoir, avant l'évacuation du camp, ce que sont devenus les " Proéminents ".
Beaucoup plus tard, après la libération, j'ai appris que parmi eux était le professeur Marcel PRENANT, et aussi l'ingénieur chimiste Roger HOUET, qui était assistant du professeur Paul LANGEVIN avant son arrestation.
Sur la fin d'avril 1945, le camp de Neuengamme se trouve entre l'armée allemande et l'armée Soviétique. Les SS décident alors de transférer sur Lübeck une partie des déportés de Neuengamme.
Entassés dans un train de wagons de marchandises, ce convoi sujet à de fréquents arrêts roule un jour et une nuit. Des soldats allemands ouvrent les portes à chaque arrêt. Il ne sont plus jeunes et semblent moins corsetés dans la discipline nazie que ceux que nous étions accoutumés de voir. Au matin du dernier jour du trajet, souffrant de soif et de faim, je me sens mal. Un des soldats me donne un morceau de son pain, je le remercie et lui fais comprendre que je suis hors d'état de manger, tout en tendant ce pain à mon voisin.
Au terme de ce pénible voyage, on nous aligne par cinq pour nous diriger sur le quai d'embarquement du port de Lübeck où nous retrouvons les SS.
DANS LES CALES DU THIELBEK
Par une échelle de fer, les SS nous font descendre dans la cale d'un cargo, le " Thielbek ". Une ampoule, pour tout éclairage. C'est une prison de fer où déjà se trouvent d'autres déportés, et où débarquent de nouveaux convois.
L'espace pour chacun se réduit. De loin en loin, au bout d'un filin, nos gardiens font descendre un bidon de soupe. Autour de cette nourriture, la bousculade souvent renverse le bidon. Autour des tinettes aussi c'est la bousculade.
La dysenterie sévit, nous pataugeons dans les excréments, il devient difficile de trouver quelque place pour s'étendre sur le parquet métallique. Des chapardeurs essaient de dérober ce qu'ils peuvent atteindre, y compris les vieilles boites servant de gamelles.
Nous sommes là plusieurs centaines, groupés par nationalité : Français, Russes, Allemands, Polonais ... que la soif torture. Pas d'eau dans cette cale. Sur les flans du navire, notre respiration fait condenser la vapeur d'eau. Avec des bouts de linge, nous récupérons tant bien que mal cette eau rouillée pour avoir de temps à autre une gorgée de liquide.
Y a t-il parmi les déportés Russes, quelque connaisseur en construction navale ? Et par quel moyen ces déportés Russes ont ils pu dévisser les nombreux écrous bloquant une trappe donnant accès au fond du cargo ? Toujours est-il qu'ils découvrent ainsi une réserve d'eau, ils organisent une distribution générale, qui se fait dans l'ordre, pour éviter la resquille. En quelques jours la réserve est épuisée. Il nous faut nous rabattre sur l'eau de condensation.
Chaque jour nous remontons par le filin des morts. Nous passons ainsi combien de nuits et de jours ? Au moins huit, peut être dix, lorsque nous parviennent les bruits des moteurs du bateau, nous donnant l'impression que le cargo se déplace.
Bientôt pourtant, le bruit des moteurs cesse. Peu après, les SS font monter sur le pont les déportés allemands, puis les déportés francophones. Sur le pont les canons de DCA sont en position de tir. Un très grand paquebot est arrêté bord à bord contre le cargo. Il porte le nom de " Cap Arcona ".
LE CAP ARCONA
Sur les 5000 détenus qui se trouvaient à bord du Cap Arcona, un paquebot de luxe, on ne comptera qu'une centaine de rescapés
On nous fait embarquer sur ce paquebot, ordre est de camper au long des cabines du pont supérieur. Il fait très froid, mal vêtus, nous n'avons pas de couvertures, nous grelottons. Quelques heures s'écoulent ainsi, puis on nous entasse dans ce que je suppose être une soute à bagages. Au matin suivant, on nous dirige à l'intérieur du paquebot : escaliers, couloirs, grande salle pourvue d'un lavabo avec glaces. Ordre de nous laver, de nous raser, j'ai pu conserver un rasoir muni d'une mauvaise lame, avec laquelle je passe beaucoup de temps à me raser, sans me rendre compte que tout mon groupe a quitté cette salle d'eau, je n'ai pas entendu d'ordre de rassemblement. Survient un grand SS, tandis que je m'essuie avec ce qui me sert de chemise. Il hurle, puis remarquant la lettre F sur mon pantalon, il dit en Français " Pourquoi fous ici ? ", et en allemand me traite de cochon de Français en m'indiquant de la cravache la direction à suivre pour rejoindre mon groupe.
On nous case à deux par couchette dans les cabines. Heureux de nous retrouver entre Français, nous nous demandons si nous ne rêvons pas, encore qu'on nous serve à peu près la même soupe qu'au camp, quoiqu'en quantité plus importante. Plus de SS ni de kapos hurleurs.
Le 3 mai 1945 , vers 15 heures, des déportés qui regardaient au dehors à travers les hublots s'écrient : " Un avion, il vient vers nous ! ".
L'appareil effectue une reconnaissance au dessus du paquebot, sur le pont duquel, des canons antiaériens sont en position de tir. Les SS déclenchent la DCA L'avion s'éloigne. Mais un peu plus tard l'aviation alliée bombarde le bateau, qui commence à s'incliner sur la gauche. Un ordre retentit dans les cabines : " Tous sur le pont ! " Quand les déportés occupant les cabines du premier étage parviennent sur le pont, celui-ci est déjà envahi par la fumée.
A une centaine de mètres du paquebot, le cargo " Thielbek " sombre avec sa cargaison de déportés.
Une petite plage, à l'arrière du paquebot ne flambe pas encore. Nous nous y rassemblons à une trentaine, tandis qu'au dessous de nous l'incendie fait rage, et que les S.S. dans les canots, s'éloignent du bateau. Dans la fumée et la chaleur, nous suffoquons. Le navire, de plus en plus, penche sur la gauche. Bloqués sur la petite plage arrière, la situation nous paraît sans issue, déjà des déportés sont atrocement brûlés, la panique nous gagne. Au loin, nous apercevons la terre. Espérant la gagner à la nage, des déportés se jettent à l'eau, s'accrochent à tout ce qui flotte : caisses, planches, bouées ... Autour de moi, des croyants prient. L'un d'eux me demande si je crois en Dieu. Selon lui, c'est le moment de lui confier notre âme. Je lui réponds par la négative. Il fait alors un signe de croix et s'adresse à d'autres déportés.
Près de moi, un autre Français que je ne connais pas me dit : " Echangeons nos noms et prénoms, pour dans le cas où l'un de nous, s'il survit, pourra prévenir les proches de l'autre, s'il périt. " Il me dit qu'il sait nager, je ne me sens pas en état de fournir un tel effort. L'idée me vient de récupérer une porte de cabine. L'eau a envahi les cabines et l'escalier d'accès ; le pont est en partie immergé. Néanmoins, j'y parviens, avec ma porte, planche de salut. Nous convenons que mon camarade se jettera à l'eau, je lui lancerai la porte de cabine qu'il maintiendra jusqu'à ce que je le rejoigne à la nage ; nous disposerons ainsi d'un radeau, car je nage fort mal.
Mais d'autres déportés veulent m'enlever la porte de cabine, tandis que mon camarade se jette à la mer ; je lance néanmoins cette porte en direction du nageur et m'aperçois aussitôt qu'elle est accaparée par d'autres naufragés, tandis que je perds de vue mon camarade. Autour du paquebot, les déportés nagent désespérément, agrippés à tout ce qui flotte.
Beaucoup plus nombreux sont les cadavres qui dérivent lentement vers le large. Ma vie s'achèvera t'elle donc ici ?
Je me déshabille, je m'enduis le corps de margarine trouvée sur le pont, avec une ceinture j'arrache les planches d'une caisse et me les attache sur la ventre avec cette ceinture, lorsque subitement, le paquebot se couche sur le flanc, me précipitant à la mer. Nous voulant pas être englouti avec le " Cap Arcona ", je m'éloigne à la nage, mais faiblesse est grande, je sens que je ne pourrais poursuivre mon effort.
En me retournant, je vois qu'une partie du paquebot émerge encore de quelques mètres. Demi-tour. Péniblement, au prix d'efforts désespérés, je me hisse hors de l'eau et rejoins une dizaine de rescapés, assis sur le flanc émergé du bateau.
Ils se serrent pour me faire de la place, bien que la coque du bateau soit encore très chaude, l'incendie persistant dans une partie du navire. Parmi ces rescapés il n'y a aucun Français. Soudain, sur l'eau, près du paquebot, j'aperçois une main, puis un bras, puis une tête. Un homme peine à se maintenir sur l'eau. Il n'ose s'agripper au bastingage. Je l'aide à monter près de moi. C'est un soldat allemand encore vêtu en uniforme, un de ceux qui étaient chargés de nous garder à bord et n'a pu embarquer sur les canots des SS. Cinq ou six autres naufragés nous rejoignent ; ce sont des déportés russes.
Je n'ai sur moi qu'un short. Le froid est vif. Claquant des dents de plus en plus, je demande par gestes au soldat allemand d'attraper une veste flottant sur l'eau, et de me la poser sur le dos. Elle est trempée, mais me protège du vent qui accentue la sensation de froid. La nuit tombe, glaciale. Je n'ai plus la force de parler. Soudain quelques mots en allemand rompent le silence, des rescapés. L'un d'eux pointe le doigt vers l'horizon. Un avion vient vers nous. S'agit-il d'un avion destiné à liquider par mitraillage les derniers survivants du naufrage ? Il rase l'épave du " Cap Arcona ", et s'éloigne.
Surviennent ensuite deux bateaux, type remorqueurs. Amènent t-il des SS chargés de nous récupérer pour nous fusiller à terre ?
Ils accostent à l'avant du bateau. Pour rejoindre leur bord, nous devons marcher sur une vingtaine de mètres sur la coque brûlante du paquebot. Chacun s'enveloppe les pieds avec des vêtements mouillés. Sans vêtements, je ne puis en faire autant. Un rescapé me crie en allemand : " Attention, ça brûle. " Un autre ordonne au soldat allemand de me porter sur son dos jusqu'au remorqueur. Petit, malingre, je ne pèse guère. Après hésitation, le soldat allemand obéit.
Ces remorqueurs nous livreront-ils aux SS ? Je le crains d'autant plus qu'à bord aucune information nous est fournie ; dès lors je ne pense qu'à échapper au débarquement en me cachant je ne sais trop où à bord. Mais quand nous accostons, je n'ai aucune cachette et ne sais comment je suis pris dans la file débarquant des remorqueurs, tout surpris de voir mes compagnons serrer, sur le quai, la main des soldats qui s'y trouvent. Ce sont des hommes des forces alliées.
C'est la fin d'un si long cauchemar ! Bonheur ! nous sommes enfin libres.
Mai comment oublier la cargaison de déportés engloutie avec le " Thielbek ", et ceux emprisonnés dans les cabines du " Cap Arcona ", faisant de la main, par les hublots , des signes de détresse quand les remorqueurs ont quitté l'épave ? Et tous ces morts vers le large ?
VERS LA FIN DU CAUCHEMAR
L'armée alliée rassemble les rescapés du naufrage dans une ex-école militaire, vaste camp, clos de murs, aux issues gardées de l'extérieur par des sentinelles.
Les déportés y disposent d'un bâtiment par nationalité. Réquisitionnée, la croix rouge allemande leur distribue chaque jour plusieurs soupes meilleures que celles de Neuengamme. Dans le bâtiment affecté aux Russes, un médecin, lui-même déporté est à notre disposition. Atteint de diarrhée, souffrant beaucoup d'une otite, j'ai souvent recours à ses services. Mais aucun service de santé n'est organisé, ce jeune médecin Russe ne dispose pas du minimum indispensable pour soigner les malades du camp. Cependant avec une aiguille à tricoter, il crève mon otite et l'éponge avec un peu de coton hydrophile. J'en suis soulagé au bout de quelques jours. Mais la diarrhée persistera encore longtemps.
L'état sanitaire des rescapés est mauvais ; beaucoup meurent au bout d'un bref séjour au camp. Après tant d'épreuves si difficilement surmontées, périrons-nous tous ici, dans l'attente du retour en notre pays respectif, à propos duquel aucune information ne nous est communiquée ? Je me pose cette question lorsque, marchant autour des bâtiments du camp, je découvre des cadavres. Combien auraient pu survivre, de ce morts, s'ils avaient reçu à temps les soins nécessaires ?
Le temps nous dure dans ce camp. Nous essayons de l'occuper comme nous le pouvons. Un petit bras de mer large d'environ trois à quatre cents mètres le baigne. Un déporté Polonais y repère un petit canot à deux rames. Il sait nager. Nous nous disons l'un à l'autre que sur l'autre rive de ce bras de mer, les sentinelles ne nous inquiéteront pas, et nous voilà dans le canot. A peine avons nous parcouru la moitié du trajet qu'autour de nous des coups de feu éclatent ; les balles tombent à l'eau. Nous ne voulons pas renoncer à la traversée et poursuivons notre route. En abordant l'autre rive, une patrouille parlant anglais nous cueille, et après un bon sermon, nous ramène au camp. L'anxiété nous gagne.
Nous sommes depuis une quinzaine dans ce camp, lorsqu'une voiture munie d'un haut parleur le parcourt, annonçant en plusieurs langues la capitulation de l'Allemagne.
Enfin ! Hitler est vaincu. Quelle joie ! Depuis si longtemps nous attendions cette défaite du fascisme. Puisque la guerre va finir, plus proche nous semble la perspective du retour chez nous. Mais notre impatience grandit aussi, dans ce camp où la maladie continue ses ravages parmi les déportés. Que le temps est long, long.
Nous apprenons qu'une équipe de Russes a pu, dans la campagne environnante, abattre et dépecer sept vaches pour améliorer l'ordinaire. Ils ont donc pu sortir du camp et y revenir sans dommage. Mais alors ? Dans cette campagne il y a sous doute des poules, donc des œufs et des poulets. Nous projetons une expédition des Français pour récupérer cette nourriture.
Mais ne n'y pouvons donner suite à ce projet. On nous apprend sous le manteau que bientôt notre petit contingent de Français doit quitter le camp à l'insu des déportés des autres nationalités. Un des nôtres a pu faire le mur. Il a rencontré en ville des militaires Français, encore qu'il n'y ait pas d'unité Française dans les alentours immédiats. Il est convenu avec ces militaires qu'à un jour, une heure convenus, nous nous rassemblerons devant une porte et tous ensemble la franchirons et grimperons très vite dans des camions de l'armée Française. Ainsi faisons-nous le moment venu. A la porte retenue notre flot déborde les sentinelles ; nous nous engouffrons dans les camions à drapeau tricolore qui disparaissent rapidement. Enfin, cette fois, nous roulons vers notre pays !
Du trajet effectué à notre retour d'Allemagne, je n'ai guère d'autre souvenir que le spectacle terrible de Hambourg , ravagée par les bombes ; puis nous sommes à Bruxelles où on nous restaure et nous fait dormir avant l'heure du train pour la France. Un train dont les wagons n'ont plus de glaces. Dans la soirée, j'arrive à Rennes et télégraphie à ma femme, annonçant mon retour. Quelques heures plus tard, je rejoins ma famille effarée de me voir si décharnée, mais si heureuse !
NOMS DE DÉPORTÉS DE NEUENGAMME
DONT J'AI LE SOUVENIR
Rescapés du " Cap Arcona ", tous triangle rouge :
Jean PROVOST, de Lannion.
Paul MARADON, de Perros-Guirec.
Albert AUBRY, cheminot à Rennes.
SIMON, cheminot à Rennes.
Charles GAUTHIER, cheminot à Rennes.
JIM, boxeur noir, de Paris et son frère JO, unijambiste.
Charles JUHEL, de Rennes, étudiant, 20 ans.
DESCHAR, lui n'avait qu'un bras.
Rescapés du " Thielbek ", triangle rouge :
DESCAU ? DESCON ? DESCOU ? étudiant Grec, de Paris.
Autres triangles rouge à Neuengamme.
ALOIS, Grec.
WILLY, kapo des électriciens.
Maître ANDRE, avocat Belge, chef du travail du camp, Il a risqué sa vie pour sauver des déportés, notamment la mienne à deux reprises.
Docteur QUENOUILLE.
Professeur Marcel PRENANT.
SERKIOU ou SERKION, Russe, 20 ans, étudiant.
YOURI, Russe, très jeune.
VASSILI, ingénieur Russe, 25 ans, brassard violet, sourire triste, condamné à la pendaison.
D'autres camarades :
JUSSEC, jeune Tchèque.
FRANTZ, 30 ans, Danois.